Etre observateur de service au Pic du Midi

Au printemps 2016 et en septembre 2017, j’ai eu l’opportunité de passer des nuits au Pic du Midi. Petit compte rendu des ces séjours …

Mon premier séjour …

Je suis né à Visker, au pied des Pyrénées, à 20 km à vol d’oiseau du Pic du Midi. La fenêtre de ma chambre d’enfance donne pile en face de ce sommet mythique. La vue de ce sommet chaque matin, chaque soir, a alimenté mon rêve d’y monter un jour, et d’y passer des nuits.

Fin mai 2016, j’ai enfin eu la chance de pouvoir réaliser ce rêve en séjournant une semaine à l’observatoire du Pic du Midi afin de remplir le rôle d’observateur de service sur le télescope Bernard Lyot (TBL), le plus grand sur le sol français. Cette mission est réalisée en tant que bénévole de l’association OATBL. Une occasion rare de profiter d’un lieu exceptionnel, offrant un point de vue magique sur les Pyrénées le jour, et sur la voûte céleste la nuit. Encore faut-il que la météo soit clémente …

Des nuages lenticulaires au dessus de la Brèche de Roland et du Taillon.

Le télescope Bernard Lyot (du nom de l’inventeur du coronographe – un instrument permettant d’observer la couronne solaire en simulant une éclipse)  a été construit un peu à l’écart du site du Pic du Midi, entre 1970 et 1972. Il s’agit d’un cylindre de béton, coiffé d’une coupole avec une calotte mobile et un opercule.

Le télescope Bernard Lyot. Il compte 5 étages.

Il y au moins 5 niveaux dans ce bâtiment :

  • au rez de chaussée, un étage technique avec la centrale hydraulique pour lever les plus de 2 tonnes du télescope, et une cloche à aluminure pour rénover les miroirs. Il y a quelques années, de l’air liquide était produit à cet étage pour refroidir les capteurs imageurs
  • au premier, l’étage d’accès depuis le reste du Pic, avec des locaux techniques et le caisson isotherme refermant le spectropolarimètre Narval
  • au second, l’étage de la salle de repos, avec une petite cuisine, des toilettes, une télé, un canapé, etc.
  • au troisième, la salle de pilotage du télescope, de Narval, les baies informatiques, les automates, etc
  • il y a un entresol, mais je ne l’ai pas visité
  • au quatrième : la coupole avec le télescope et la centrale de froid notamment. La température et l’hygrométrie sous la coupole sont contrôlées afin de ne pas avoir un écart trop important avec l’extérieur et ne pas givrer le miroir en cas d’humidité importante.

Tous le niveaux sont percés d’une trémie afin de pouvoir descendre le miroir au rez-de -chaussée pour le réaluminer. Le bâtiment est également équipé d’un petit ascenseur.

Le miroir primaire de 2m du TBL.

La coupole abrite un télescope de type Cassegrain avec un miroir de 2 m de diamètre. Il repose sur une monture équatoriale en fer à cheval. La lumière collectée par le télescope est acheminée vers Narval trois étages en dessous par une fibre optique.

L’accès au télescope se fait par un accès commun au bâtiment interministériel dit « TDF » puis un tunnel/couloir qui débouche sur le premier étage. Ce long tunnel est chauffé par les émetteurs de TDF qui dégagent de la chaleur, qui est donc recyclée !

Pour des observations directes, ce télescope n’est plus assez performant pour rivaliser avec d’autres téléscopes beaucoup plus importants comme le VLT au Chili voire les télescopes spatiaux comme Hubble ou le James Webb Telescope qui sera lancé en 2018 pour remplacer Hubble.

Pour justifier son intérêt scientifique, il a fallu trouver un domaine de l’astrophysique adapté à ce télescope, un domaine de niche : la spectro-polarimétrie. Seuls deux télescopes sont dédiés à ce domaine de recherche dans le monde : le TBL, et le CFHT, sur l’île d’Hawaï. Il s’agit de décomposer et d’étudier la lumière de l’étoile observée : quelles sont les raies spectrales présentes et quelle est la polarisation de la lumière.

Lorsqu’une source de lumière est plongée dans un champ magnétique statique (c’est le cas d’une étoile), ses raies spectrales se séparent en plusieurs composantes. C’est l’effet Zeeman. Les observations réalisées avec Narval permettent donc de créer une carte du champ magnétique des étoiles en utilisant l’effet Zeeman.

Un exemple de modélisation d’une étoile, avec la représentation des lignes de champ, visible au musée de la partie touristique.

Les observations au TBL sont organisées en observations de service. Fini le temps où les chercheurs montaient au sommet pour réaliser leurs propres observations.

Les observations de service consistent en la réalisation d’un programme d’observations déterminées à l’avance par un astronome support. Un appel d’offres est lancé régulièrement auprès des astronomes et des astrophysiciens. Les chercheurs indiquent quels objets ils souhaitent observer. Les objets sont alors triés par ordre de priorité, par nombre d’observations à répéter, par type d’observations et autres critères. Ainsi, sur une nuit, différentes missions sont réalisées en même temps.

Les opérations commencent 2 à 3h avant la première observation : il faut focaliser et calibrer Narval.

Le poste de pilotage de Narval.

Quelques résultats de recherches menées au TBL sont visibles à ce lien : http://spiptbl.bagn.obs-mip.fr/

Lors de mon premier séjour, la partie touristique du site était fermée. L’effectif au sommet était assez réduit, moins de 15 personnes. Les rotations de télécabines étaient réduites (1 à mi-séjour) et le sommet était difficilement accessible, ce qui donnait une ambiance assez monastique.

 

Mesure de la vitesse du vent sur le chemin du ronde par Pascal, technicien au TBL. Mieux vaut tenir son bonnet !
Les quelques personnes présentes au Pic du Midi profitent de la terrasse de la coupole Baillaud pour admirer le coucher du soleil.
Au lever du soleil, le rayon vert, à peine perceptible. Zoomez !
Est-ce le profil du Général de Nansouty, gravé sur un rocher de la terrasse Sud ?
Un peu de repos, en pleine nuit d’observations.
Durant la fermeture touristique, travaux de haute voltige sur le pylône du téléphérique.

 

Au sommet, l’ambiance est chaleureuse, les échanges se font facilement avec les équipes : techniciens du site, techniciens du TBL, technicien de TDF (l’antenne télé/radio), les bénévoles de l’association OA du Coronographe, etc. On y apprend également des anecdotes pas vraiment exposables ici !

Un séjour au TBL sera peut-être décevant pour ceux qui espèrent profiter du ciel étoilé : remplir son rôle d’observateur de service au TBL ne permet pas tellement de s’éloigner des écrans de l’ordinateur d’acquisition de Narval … Il faudra alors se tourner vers l’association T60, faite pour les astronomes amateurs.

Seule déconvenue : il était prévu de redescendre le jeudi matin. Le vent était trop important, nous avons donc du différer la descente au lendemain. La descente à pied n’était pas possible en raison de la neige de printemps, instable et qui continuait de fondre avec le redoux. Annoncer à son retour en plaine « je suis resté bloqué au sommet à cause de la météo »  fait toujours son petit effet et renvoie à des situations bien plus difficiles, où les personnes au sommet peuvent rester bloquées plusieurs jours, sans assistance.

Second séjour en septembre 2017

J’ai pu renouveler cette expérience en septembre 2017, pour 3 nuits complètes. Cette fois-ci, après une montée sous la neige, les 3 nuits ont été de bonne qualité. Toutes les étoiles ont pu être pointées, mais malheureusement, un léger voile nuageux a diffusé le flux des étoiles et les mesures sur les étoiles les plus faibles n’étaient pas exploitables.

Au sommet, beaucoup de touristes en journée, mais peu de scientifiques ou d’amateurs : les OA du coro étaient absents, il n’y avait personne au T1M ni au T60. J’ai cependant pu rencontrer des astronomes qui étaient montés pour pratiquer l’astrophotographie. J’ai pu aller à leur rencontre, le temps d’une pose de 1h40 sur une étoile.

Les lunettes des astronomes sur la terrasse Sud, prêtes pour de l’astrophotographie.

Ci-dessous un exemple de programme pour la nuit du 20 septembre 2017. Il y a VV-Cep qui apparait, une étoile observée sur le temps accordée à l’observateur de  service. Mes connaissances en spectro n’étant pas assez poussées, cette étoile m’a été recommandée par le bureau de l’association OATBL.

 night_20170920.dat
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
[UT] MISS. NOM_OG NOM_OBJET H.A. A.M. MagV Sp.T. Tp[s] P M L poses
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
18:35 N99 Bet_CrB BETACRB 3.11 3.22 1.30 1.32 3.68 F2VpSrCrEu 460 A V n 04/99
18:50 N01 P255.882+11.553 P255.88286+11.55361 1.76 2.83 1.28 1.50 14.24 3840 A S6 s 00/01
20:00 N03 GL630.1A GL630.1A 3.42 4.76 1.22 1.43 12.87 M4.5V 4800 A S6 s 00/01
21:25 N99 Gam_Equ GAMEQU 0.24 0.35 1.19 1.19 4.68 A9VpSrCrEu 460 A V n 06/99
21:35 N09 xCyg-2Q-1 XCYG 0.86 1.24 1.02 1.04 6.47 F7IbC1960A 1400 B Q n 00/06
22:00 N09 xCyg-2U-1 XCYG 1.27 1.66 1.04 1.07 6.47 F7IbC1960A 1400 B U n 00/06
22:25 N09 xCyg-4V-1 XCYG 1.69 2.39 1.07 1.14 6.47 F7IbC1960A 2560 B V n 00/06
23:10 N97 VV_Cep VVCEP 1.23 1.79 1.09 1.11 4.90 M2epIa-Iab 2080 C S6 n 00/02
23:50 N09 muCep-2Q MUCEP 2.11 2.35 1.10 1.12 4.08 M2-IaB1989 840 A Q f 02/12
00:05 N09 muCep-2U MUCEP 2.36 2.60 1.12 1.14 4.08 M2-IaB1989 840 A U f 02/12
00:25 N03 GL896AB GL896AB 0.89 1.14 1.11 1.12 10.17 M4+M5D 900 A S6 s 00/01
00:45 N03 GL873A GL873A 1.97 2.22 1.07 1.09 10.26 M4.0V 900 A S6 s 00/01
01:05 N11 HD9986 HD9986 -0.54 0.58 1.17 1.17 6.76 G2VC2003AJ 4020 B V n 04/20
02:15 N08 betaari_sc1 BETAARI 0.34 0.81 1.08 1.10 2.65 kA4hA5mA5V 1680 B V f 02/28
02:50 N11 KAPPACETI KAPPACETI -0.48 -0.23 1.30 1.30 4.85 G5VC1999MS 900 A V n 04/20
03:10 N11 EPSILONERI EPSILONERI -0.37 -0.04 1.64 1.63 3.73 K2Vk:C2006 1220 A V n 03/20
03:35 N05 TYC1846-1599-1 TYC1846-1599-1 -1.69 -1.12 1.14 1.10 10.84 2080 A S6 n 00/01
04:15 N09 ceTau-2Q CETAU -1.28 -0.99 1.15 1.13 4.33 M2Iab-IbB1 1040 A Q f 02/22
04:30 N09 ceTau-2U CETAU -1.03 -0.74 1.13 1.11 4.33 M2Iab-IbB1 1040 A U f 02/22
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
REMARQUES:
- Priorites: N97 (!) > N11 = N09 > N01=N03=N05 > reste
- Pour toutes les etoiles de N01 il y a une carte du ciel envoyee aux operateurs par Francis :)

La fin du programme se termine à 7h locales par les calibrations de fin de nuit. La troisième nuit aura donc duré 11h, ponctuée de petites siestes de 20 minutes rythmées par le « bip-bip-bip » de l’ordinateur d’acquisition … Avec la fatigue et le manque de lucidité, je me suis un peu emmêlé les pinceaux sur la fin du programme, mais tout le programme a été réalisé !

J’ai droit à un très court sommeil, le temps de rejoindre ma chambre à l’autre bout du sommet, il est déjà 7h30. Le rendez-vous à la télécabine est donné à 10h30, ce qui fait donc à peine 3h de sommeil.

Merci à toutes les personnes qui ont rendu ces deux séjours inoubliables !

Le prochain séjour est prévu pour début 2018. Ce sera mon premier séjour en plein hiver, ça promet d’être rude !

***Bonus*** : une vue fisheye du TBL en très haute définition :

Vue fisheye du TBL assemblée avec Hugin

2 réflexions sur “ Etre observateur de service au Pic du Midi ”

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *